D'un regard sans haine, elle contemplait le monde ▬ Eirwen

Le silence de l'aube fut rompu par leurs brusques coups, retentissants, à tel point qu'il sembla que la porte allait sortir de ses gonds. Il savait qu'ils seraient là bientôt, et il ne pouvait nier qu'il appréhendait leur venue. Il ouvrit la porte. Ils attendaient, visiblement impatients d'accomplir ceux pour quoi ils étaient payés. Les chasseurs. « Je peux faire quelque chose pour vous messieurs? » Ils s'avancèrent, le poussant ainsi à s'écarter pour leur céder le passage, et pénétrèrent au sein de la vétuste demeure. L'un d'entre eux, celui qui semblait diriger les opérations, prit la parole. « Nous cherchons des renseignements au sujet d'une famille qui vivait non loin de chez vous. » Il affecta un air surpris, et d'un geste, les invita à se mettre à l'aise. « Vous parlez des Aderyn? J'ignore si je peux vous être utile. Ils ont quitté Brinkllow voilà une semaine déjà. »
Il ne pouvait le nier, il était nerveux, mais tentait de le masquer par tous les moyens. Il savait jouer la comédie, mais face à la peur, il n'était guère certain de pouvoir tenir son rôle jusqu'au bout. Il donnait malgré tout le change. « Je vous sers à boire messieurs? » Ils acquiescèrent d'un même mouvement. Il leur apporta le vin qu'il lui restait et le servit sur la table, espérant ainsi peut-être, les mettre en confiance et ne pas attirer les soupçons sur lui. Il savait que ce qu'il faisait était juste, et pourtant, c'était sans doute pure folie. Il avait une femme, il avait un fils. Ses affaires étaient fructueuses. Ils avaient des projets, et aujourd'hui, il risquait tout ce qu'il avait de plus cher.
« Parlez nous d'eux. Vous les connaissiez bien? » Il s'assit à la table, parmi la troupe des traqueurs de druides, et but une gorgée de son vin, afin de se donner une certaine contenance. « Un peu. Ils vivaient tout près. Des gens biens. » L'un des chasseurs sembla réagir à cette remarque. Il se leva, puis fit quelques pas dans la pièce. « Des gens biens dites-vous? Ne saviez vous pas ce qu'ils étaient? Des sorciers. Je suppose que vous n'aimeriez pas que vos enfants se trouvent confrontées à l'une de ces viles créatures, ai-je tort? » Il s'était emporté, et avait rapproché son visage près du sien, comme pour tenter de percevoir ses réelles opinions. « Non, bien sûr que non. Mais j'ignorais tout de ces agissements. Jamais il n'en ont soufflé mot. » Soudainement, à cette réponse, les traits se détendirent, il reprit une expression bon enfant, et se rassit calmement à sa place.
« J'aurais néanmoins besoin de quelques renseignements à leur sujet. Quel était leurs noms? Avaient-ils des enfants? Tout ce que vous pourrez m'apprendre me sera utile. » Il fit mine de réfléchir. Il devait parler, sans pour autant en dire trop. « L'homme s'appelait Kienan Aderyn, et sa femme Deirdre il me semble. Ils avaient un enfant, une fille, je dirais entre vingt et vingt-cinq. Eirwen, c'était son nom. Elle vivait encore avec eux. » Le fixant toujours du regard, le chasseur approuvait et l'encourageait à continuer par de petits signes de tête. « Je... je n'en sais pas beaucoup plus... ils étaient très secrets... mystérieux... » Puis, il releva les yeux. « Êtes-vous certain qu'ils sont... » Le chasseur sans plus attendre approuva avec un détachement certain. « Une femme au village a dénoncé leurs pratiques. Ils vivent ici depuis de nombreuses générations et sont, selon nous, extrêmement dangereux. Ils doivent être arrêtés au plus vite, et c'est pourquoi l'aide que vous nous apportez sera sans aucun doute récompensée à sa juste valeur. »
Sans qu'il ne sache vraiment pourquoi, ces dernières paroles lui donnèrent des sueurs froides. Il y avait quelque chose qui ne lui inspirait pas confiance. Cet homme semblait bien trop sûr de lui. Comme si, quelque part, il jouait à un jeu. De nouveau, il se leva, cette fois pour rapprocher sa chaise et s'assoir face à lui. « Vous possédez une bien belle demeure. » Il tenta d'arborer un sourire empli de fierté. « Depuis plusieurs générations nous travaillons sans relâche, et notre fortune s'est accrue. » Il ne comprenait pas quel était le but de cette remarque, et ne pouvait s'empêcher de craindre ce qui suivrait. « Elle doit contenir de nombreux endroits où il est possible de s'y dissimuler. » Il devint d'une pâleur mortelle, et ses yeux s'écarquillèrent. Le visage du chasseur se fit mauvais, sévère, bien que sa voix reste calme. « Ils sont cachés ici, n'est-ce pas. » Il devait nier. Il ne pouvait les trahir, bien que tout semble perdu. « Ne mens pas. Souviens-toi que tu as une femme et un fils. Souviens-toi de ta famille. Tu as ma parole qu'il ne t'arrivera pas le moindre mal, à toi ou aux tiens si tu parles. Maintenant réponds. Sont-ils cachés chez toi? » Il baissa la tête. Il répugnait à sacrifier ce en quoi il croyait, mais il ne pouvait sacrifier ceux qu'il aimait le plus. « Oui... ». Tandis que le chasseur faisait signe aux autres de fouiller les moindres recoins de la demeure, il cacha sa tête de ses mains, se sentant noyé dans la honte et la douleur.

Ses yeux semblaient la bruler, tandis que ses larmes se mêlaient à la poussière qui couvrait son visage, et à quelques mèches de ses longs cheveux bruns désordonnés. Son être entier souffrait. Sa jambe droite, plus particulièrement, lui faisait souffrir le martyre. Mais elle n'avait nul autre choix que celui de courir. Courir, le plus loin possible. Ils les avaient attrapés. Ses parents. Elle n'avait rien pu faire. Elle avait dû fuir. Comment pouvait-elle encore être capable d'une telle avancée, malgré son infirmité? Elle-même l'ignorait. La peur sans doute. La rage. Le désespoir. Le traumatisme de voir sa famille massacrée sous ses yeux. Ses parents, qui d'un regard, d'une parole, lui avaient ordonnée de fuir, au sein de la forêt qui serait son seul refuge.
Elle était trop affaiblie. Elle ne pouvait être aussi rapide qu'elle l'aurait souhaité. Elle avait cependant réussi à pénétrer dans la forêt. Mais ils la rattrapaient. La sorcière, destinée à mourir, tout comme sa famille ainsi que le reste de ses semblables. Ils allaient sans doute y parvenir. Son seul espoir était se cacher. Elle devait pour cela faire usage de la magie. Les mettre sur une fausse piste. Mais ce simple acte lui vola ses dernières forces. Elle continua pourtant à avancer, malgré tout, quittant les sentiers. Sans sa canne, elle éprouvait de plus en plus de difficultés à avancer. Elle finit par s'écrouler au pied d'un arbre, puis ferma les yeux, perdant connaissance.